Nuits de carence
De passage l’autre jour chez les pauvres, ou plus précisément chez les enfants de pauvres, dans une école de Gennevilliers, le président Macron, caressé par la réussite et regard de velours, s’est gentiment penché sur un petit garçon. Puis il a tapoté la joue d’une petite fille, à moins que ce soit l’inverse et, gagné par l’émotion, il a fait la déclaration suivante, avant de retrouver le palais de l’Elysée : « D’ici la fin de l’année, je ne veux plus personne dans les rues, dans les bois. »
Comme on aimerait y croire, et croire que ce genre de gestes soit autre chose qu’une suite de postures et d’imposture ? Avant l’actuel chef de l’Etat, le président Sarkozy avait pris le même engagement, il y a dix ans et, comme il n’avait pas été tenu, le président Hollande n’avait pas hésité à le renouveler, sans plus d’effet. Tout indique, hélas, qu’il en sera de même si aucune mesure concrète ne fait de ces belles paroles une réalité.
Neuf millions de Français, si l’on se réfère aux chiffres avancés et non contestés lors de l’entretien télévisé de M. Macron avec trois journalistes, vivent ou plutôt survivent sous le seuil de pauvreté, et c’est un scandale qu’il y ait tant de pauvres dans un pays si riche. Que douze millions d’Allemands soient dans la même situation ne saurait être une consolation. Cinq millions de nos compatriotes sont sans emploi. C’est la crise, nous dit-on, en nous promettant que la sortie du tunnel, où nous sommes entrés il y a quarante ans, est pour bientôt. Cent quarante mille malheureux dorment, ou du moins couchent chaque nuit dans la rue, et c’est une honte. Parmi eux, trente mille enfants, et c’est un déshonneur.
Les initiatives de telle ou telle personne, l’action de telle ou telle organisation charitable, les hébergements d’urgence, saturés, ne sont pas à la hauteur de ce fléau et au fil des années notre sensibilité s’est émoussée devant un problème dont la solution dépasse les moyens mis en œuvre. L’horreur est dans nos habitudes.
L’Etat vient de rétablir les jours de carence à l’encontre des fonctionnaires qui se mettraient indument en congé. Que sont ces petites tricheries au regard des années de carence de ce monstre froid ? Les quatre milliards et demi de recettes dont le projet de budget vient de faire cadeau aux plus riches en allégeant allègrement l’impôt sur la fortune et la taxation des bénéfices ne trouveraient-ils pas un emploi légitime et efficace dans la construction d’un nombre suffisants de logements accessibles pour que, sinon dès le 31 décembre prochain en tout cas dans les années qui viennent, cesse une situation sur laquelle, faute d’y mettre fin, nous ne savons que fermer les yeux ?
Des politiciens sans cœur et sans cervelle excitent les plus basses passions en dénonçant à longueur de discours le coût et les abus de ce qu’ils appellent l’assistanat. Que pèsent ceux-ci au regard des insuffisances et des failles de la solidarité ?
Dominique Jamet
Dans la même rubrique
11 novembre 2023 – TOUS A LA GRANDE MARCHE DU 12 NOVEMBRE 2023 !
27 février 2023 – LE VISITEUR
18 juin 2022 – SECOND TOUR MODE D’EMPLOI
7 juin 2022 – CET HOMME EST DANGEREUX
22 mai 2022 – UKRAINE. LA GUERRE…ET APRES ?