LE SABRE DE CHRISTIAN JACOB
Chronique de Dominique JAMET...
Aussi célèbre en son temps qu’Astérix le Gaulois, Joseph Prud’homme a sombré peu à peu dans un injuste oubli. Ce personnage de fiction, créé et porté à la scène par le dramaturge, romancier et humoriste Henry Monnier, avant de s’incarner dans des caricatures de Daumier, méritait pourtant de rester dans la postérité. D’abord parce qu’il est non seulement exemplaire mais emblématique de la bourgeoisie louis-philipparde (1), boursouflée, pénétrée de son importance, imbue d’elle-même, bref grotesque, telle que l’a fustigée et détestée Flaubert. Ensuite pour cet aphorisme, aussi imparable qu’impérissable : « C’est l’ambition qui perd les hommes. Si Napoléon était resté officier d’artillerie, il serait encore sur le trône. » Enfin et surtout pour l’étonnant et admirable discours que lui prête son créateur lorsque M. Prudhomme, admis dans la Garde nationale, en revêt l’uniforme et en porte les armes : « Ce sabre est le plus beau jour de ma vie, avec lui je jure de défendre nos institutions et au besoin de les combattre. »
Car ce sabre et ce propos me sont revenus en mémoire ces jours derniers au vu de la mission, impossible, qu’est censé mener pour le compte de son parti le garde des Républicains, à savoir l’honnête M. Christian Jacob.
Au premier abord, la position et les paroles, maintes fois répétées, de M. Jacob, ne laissent aucune place à la moindre ambiguïté. Forts de leurs cent députés à l’Assemblée nationale, du Sénat qu’ils contrôlent, des régions qu’ils détiennent, des départements qu’ils dirigent, des dizaines de grandes villes qu’ils administrent, les Républicains constituent la première formation d’opposition à l’actuelle majorité, au gouvernement qui en émane, et au chef de l’Etat. Les Républicains, qu’on se le dise, combattent les Marcheurs.
On ne laissera pourtant pas d’observer que les chercheurs les plus pointus et les commentateurs les plus avisés ne sont pas parvenus depuis le début du quinquennat en cours à déceler et à démontrer en quoi et sur quoi les idées, le programme, si l’on peut se permettre ces grands mots, et la sensibilité des Républicains diffèrent et divergent des idées, du programme et de la sensibilité, du reste difficiles à analyser, de la République en marche. La distinction est d’autant plus difficile à opérer que les deux chefs de gouvernement nommés par l’actuel président de la République sont issus de leurs rangs, tout comme les principaux ministres qui en forment l’épine dorsale. Depuis 2017, le parti des Républicains est apparu comme le terreau où M. Macron recrute ses plus proches collaborateurs et les électeurs des Républicains apparaissent d’ores et déjà comme le réservoir où M. Macron compte puiser au second tour l’appoint dont il aura besoin pour être réélu en 2022. Voilà des adversaires qui ressemblent furieusement à des partenaires.
Mais, dira-t-on, les élections départementales et régionales des 20 et 27 juin prochains sont l’occasion d’une indispensable mise au point. Il est vrai, et lors du premier tour, dans la plupart des circonscriptions, les électeurs pourront, en choisissant entre LR et LREM, opter du même coup pour l’opposition ou la majorité. M. Muselier, pour avoir oublié qui il était et où il se situait, s’est fait sévèrement taper sur les doigts par M. Jacob. Sans doute, mais cela fait, M. Jacob a imperturbablement appelé à voter…pour M. Muselier. En Ile-de-France, Mme Valérie Pécresse, qui a quitté les Républicains sans rejoindre les Marcheurs, a composé des listes où figurent les uns et les autres, et n’en deviendra pas moins, si elle est reconduite à la tête de sa région, la candidate naturelle des premiers. Au demeurant, tout indique que là où les Marcheurs sont faibles, c’est-à-dire partout, les candidats LR, bien qu’opposants, ne refuseront pas au second tour l’appui, voire l’alliance, de leurs supposés ennemis.
Nul, au demeurant, ne saurait ignorer que ce qui fut, pendant des décennies, et sous divers avatars, un grand parti de gouvernement cimenté à l’origine par des convictions puis, au fil des années, par le pouvoir, a mal supporté sa disgrâce et qu’il est à l’heure actuelle, dans l’attente du verdict des élections, divisé, voire écartelé, entre ceux qui lorgnent du côté des Marcheurs, ceux qui penchent du côté du R.N. et ceux qui tentent, tant bien que mal, de maintenir, de ravaler ou de repeindre la « vieille maison » délabrée, symétrique de la baraque socialiste.
Combattre le gouvernement ? Soutenir le gouvernement ? Ou l’un ou l’autre ? Ni l’un ni l’autre ? Ou les deux à la fois ? Le sabre de M. Jacob semble aussi polyvalent mais moins étincelant que celui de M. Prudhomme. Pas seulement parce qu’il est brisé en trois morceaux. Mais parce que c’est un sabre de bois.
(1) Rien à voir, cela va de soi, avec l’électorat édouardo-philippiste
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